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  2.2.2 Notion d’affinité et d’entropie

                                Le chemin est encore long entre ces atomes isolés et l’organisme vivant que nous sommes, mais nous en avons déjà parcouru un long depuis les quarks originels indifférenciés et ces éléments épars dans l’espace, ou rassemblés dans la masse des planètes nouvellement formées. On a longtemps cru que le passage de l’atome à la molécule complexe était une suite de processus entièrement régie par le hasard, et de ce fait, le produit des probabilités d’occurrence de ces événements étant proche de zéro, que l’apparition de la vie était un événement exceptionnel, hautement improbable, et unique. Ces convictions ont été fortement ébranlées par l’expérience de Stanley Miller en 1953 qui, mélangeant les composants atmosphériques de la terre primitive, à savoir principalement du méthane et du gaz carbonique dans un ballon de verre, y reproduisant les conditions de température et de pression et simulant les éclairs des orages par des étincelles électriques eut la surprise de voir apparaître dans le ballon des composés complexes, résultats de réactions chimiques entre les éléments simples primordiaux. Dans certaines conditions donc, les atomes et molécules simples ont tendance à se lier et à se combiner  pour produire des composés complexes dont on ignorait jusqu’alors les modes de formation. La découverte fut que ces conditions d’apparition de ces composés n’avaient rien d’exceptionnel, et que donc ces réaction avaient du se produire en maint endroit de l’univers, voire du système solaire. La chimie apparaissait donc comme « orientée » vers la vie.
                                               Il est à noter que depuis cette expérience, des molécules relativement complexes et appartenant au domaine de la chimie organique, donc potentiellement pré biotiques, ont été observées non pas sur des planètes, mais dans l’espace intersidéral.  Les comètes, boules de glace d’eau sale, traversant cet espace se chargent en ces molécules et les déposent à la surface des planètes en s’y écrasant. On pense ainsi que les molécules briques de la vie, et l’eau, milieu privilégié de son développement, ont été amenés sur terre par ces comètes. Dès lors, l’apparition de la vie n’a plus rien d’unique, c’est son développement qui requiert des conditions exceptionnelles.

                                               L’entropie d’un système est souvent assimilé à son désordre. Ainsi, il est commun de dire que l’entropie du système que constitue l’univers augmente, car son désordre augmente. En fait, l’entropie est plus une mesure de l’information que l’on peut obtenir d’un système, étant donné qu’il est plus facile de mesurer et d’étudier un système ordonné que sans structure. Dans son ensemble, l’univers a tendance à s’étendre indéfiniment, et au cours du temps de brûler tous ses constituants originaux, principalement l’hydrogène et l’hélium au sein des étoiles comme il a été expliqué au paragraphe précédent. On peut donc imaginer à terme, dans plusieurs dizaines de milliards d‘années, un univers froid et sombre dans lequel erreraient des astres de fer, élément qui serait devenu, au terme des nucléosynthèses, le plus abondant. Dans ce contexte, la chimie puis la vie s’opposent à cette évolution, en formant les composés organiques complexes, qui de part la définition qui en a été donnée, réduisent localement l’entropie des systèmes plus ou moins isolés que constituent les biotopes. Ces affinités et cette propension des éléments simples à former des composés toujours plus complexes dépassent de loin les cadres exclusifs de la chimie et de la physique et seront abordés de nouveau en fin d’exposé dans le cadre plus général des aspects philosophiques.

            2.3 De la molécule simple à la molécule prébiotique

3                        2.3.1 Rappel de chimie du carbone. Liaisons tétravalentes

         4                           2.3.1.1  Rappel sur les valences  

                                                Sans trop approfondir le domaine ardu de la liaison chimique, il est important d’en connaître quelques notions afin de comprendre les mécanismes d’agencement des atomes entre eux et la genèse des molécules, en l’occurrence organiques, qui en découle. Cette explication se limite aux deux premières lignes du tableau périodique des éléments de Mendéleiev. Tableau périodique interactif

                                                Quelques règles simples gèrent ces processus. On a vu que le nombre de protons du noyau déterminait la nature de l’élément ( et ses propriétés physiques). Autour du noyau gravitent des électrons, en nombre égal au nombre de protons du noyau. Ces électrons déterminent les propriétés chimiques de l’élément. Loin de se positionner au hasard autour du noyau, ces électrons obéissent à des règles strictes.
La « tendance » des atomes est d’avoir leurs couches d’électrons complètes.
La première couche est complète à deux électrons, la seconde à huit (règle de l’octet).
A l’exception des gaz rares (pour les deux premières lignes du tableau de Mendeleïev, hélium et Néon, en rouge), les atomes n’ont pas de couche extérieure complète.
Ainsi, pour ces deux premières lignes, appelant « 1 » la première couche et « 2 » la seconde, on aura pour les différents éléments l’architecture suivante (le chiffre indiquant le nombre d’électrons) :

ELEMENT H He Li Be B C N O F Ne
N° Atom. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Couche 1 1 2 2 2 2 2 2 2 2 2
Couche 2 0 0 1 2 3 4 5 6 7 8

                        Afin d'avoir leur couche extérieure complète, les atomes n'ont d'autre possibilité que de mettre en commun leurs électrons. Ainsi, pour l'hydrogène (figure 1), chaque électron est mis en commun. La couche extérieure de chaque atome (qui est la première, donc complète à deux) est remplie. Il en  va de même pour l'oxygène (figure 2) avec la seconde couche qui se complète à huit électrons par la mise en commun de deux électrons par atome. On ne rencontrera donc pratiquement jamais les atomes H et O isolés, mais les molécules H2 et O2.
La même logique est respectée dans la molécule d'eau H2O (figure 3) où deux hydrogène mettent en commun chacun un électron avec l'oxygène central, ou dans celle d'ammoniac (figure 4) ou l'atome d'azote central a besoin de trois électrons : NH3

Le nombre d'électrons libres dans un atome, susceptibles de ce lier, est appelé "valence".
Un électron et l'atome sera dit monovalent.
Deux électrons et l'atome sera dit bivalent.
Trois électrons et l'atome sera dit trivalent.
Quatre électrons et l'atome sera dit tétravalent.
Au delà de quatre électrons libres, l'atome en les mettant en commun libère la couche inférieure complète. Tout se passe comme s'il les perdait. Des atomes à 5, 6 et 7 électrons périphérique seront donc respectivement tri, bi et monovalents.

 

                                                2.3.1.2  Simple, double et triple liaison

                                               Selon ce principe, l’atome de carbone est tétravalent. Il est donc capable de se lier à 4 atomes monovalents - exemple avec l’hydrogène, C + 4H = CH4, c’est le méthane (en fait, C + 2H2=CH4)-, à deux atomes bivalents - exemple avec l’oxygène, C + 2O = CO2, le gaz carbonique (C + O2 = CO2) . Toutes les combinaisons sont possibles (avec l’azote, trivalent, le carbone tétra et l’hydrogène mono, on a H-CºN : acide cyanhydrique, poison violent mais composé prébiotique incontournable). Il peut aussi se lier à lui même selon des liaisons simples, laissant alors la possibilité de se lier à 3 valences par atome, soit 6 en tout. Il peut aussi se lier à lui même en double liaison (laissant 4 radicaux libres) ou en triples liaisons (laissant 2 radicaux libres). Remplaçons ces radicaux libres par des atomes d’hydrogène monovalent, on aura alors H3C-CH3 (éthane, figure 5) pour la simple liaison, H2C=CH2 (éthylène, figure6) pour la liaison double et HCºCH (acétylène, figure 7) pour la triple. En continuant ce raisonnement, les atomes de carbone peuvent se lier entre eux selon de véritables chaînes (H3C-CH2-CH2-CH3 : butane) ou encore (H2C=C=CH2 : propène) etc. On ne représente alors que le squelette carboné et les atomes autres que l’hydrogène dans ce squelette .

                                               Cette propriété du carbone de former des chaînes et ainsi une multitude de composants a permis, dans la grande variété des molécules formées, l’apparition de ces molécules prébiotiques, toutes basées sur cette architecture. On les a regroupées en trois familles distinctes : les glucides, les lipides et les protides.

NB : Sortant du cadre de cet exposé, on peut cependant noter de multiples exceptions à cette règle générale. Ainsi, la molécule d’oxyde de carbone (CO), les composés nitreux et nitriques, les composés du soufre, et toutes les molécules mettant en jeu les couches au delà de la seconde, dont les valences peuvent varier, car influencées par les couches inférieures. Il ne faut retenir de ces explications que la stabilité et l’immense variété des composés à base de squelette carboné, qui forment ce que l’on appelle la chimie organique.

                                                2.3.1.3  Rappel glucides, lipides, protides

 Les Glucides.

                                     Communément appelé « sucres », les glucides sont en général composé d’une molécule cyclique de 4 ou 5 atomes de carbone entre lesquels s’intercale un atome d’oxygène. Ils se caractérisent principalement par des groupements hydroxy (-OH) périphériques qui leur assurent une très bonne solubilité dans l’eau, de part les liaisons hydrogène qu’ils forment avec les ions H+ et OH-. Cette famille est très variée; on y trouve :
      - Les monosaccharides. Composés d’une seule chaîne cyclique. Il s’agit du glucose, le plus connu, mais aussi du galactose (cycles  à 6 atomes dont 5C et un O), et du fructose. Il est à noter que beaucoup de sucres ont une formule brute identique (ex glucose et galactose C6H12O6), et ne diffèrent que de part la position des atomes dans la molécule.
        - Les disaccharides sont formés de l’assemblage, par liaison entre deux radicaux hydroxy avec élimination d’eau, de deux monosaccharides. Le plus connu est le saccharose (sucre de canne, réunion d’une molécule de glucose avec une molécule de fructose), mais aussi le lactose, sucre contenu dans le lait.


     

 

 

  - Les polysaccharides. Ils résultent de la réunion de plusieurs monosaccharides en longues chaînes. Le plus connu des polysaccharides est l’amidon, longue chaîne de molécules de glucose, à haut poids moléculaire. Le nombre de « monomères » n’est pas défini pour des chaînes de cette taille (C6H10O5)n; Une chaîne d’amidon de brisant restera de l’amidon, car les propriétés du corps varieront peu. Ce n’est qu’après une véritable digestion (par la salive par exemple, qui contient l’amylase salivaire, enzyme qui brise les liaisons entre les molécules de glucose) que l’amidon sera totalement réduit en glucose. Le glycogène, réserve d’énergie de l’organisme stocké dans le foie, est également un polysaccharide, de même que la cellulose, omniprésente dans les végétaux.
        - Le ribose, monosaccharide cyclique, est à la base des acides nucléiques constituants de l’ARN, et, en perdant un radical OH (désoxy), de l’ADN.- En se combinant aux protides et aux lipides, les glucides forment les glycoprotéines et les glycolipides.
Il est à noter enfin que, contrairement aux protéines dont la formule est déterminée génétiquement et une fois pour toutes lors de leur synthèse à partir des gènes, la structure des glucides et de leurs combinaisons dépendent en partie du milieu et peut varier en fonction de l’environnement Cette capacité à se modifier leur permet d’acquérir de l’information et de jouer de ce fait un rôle important dans le système immunitaire.

 Les Lipides

                                        Ce sont les graisses. Les briques de ces molécules sont les acides gras, constitués principalement de longues chaînes carbonées, terminées par un groupement acide (-COOH) et ne comportent pas de radicaux -OH. De ce fait, ils sont insolubles dans l’eau. Selon qu’une double liaison s’intercale entre deux carbones de la chaîne ou non, on les qualifiera d’insaturés ou de saturés.
Exemple, l'acide oleïque :  
CH3-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH=CH-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-CH2-COOH
On rencontre ces graisses principalement sous la forme de
triglycérides. Ce sont des molécules issues du glycérol, qui est un sucre, dans lequel les trois radicaux -OH se sont liés avec le radical acide des acides gras avec élimination d’eau. Les triglycérides constituent la plupart des graisses animales et végétales.
                                       

 

 

Les phospholipides, dans lesquels un des groupements OH du glycérol a réagi avec de l’acide phosphorique. De ce fait, ces molécules comportent une partie chargée électriquement et susceptible de se lier avec l’eau, donc hydrophile, et une partie constituée d’acides gras, hydrophobe. Les phospholipides constituent les membranes cellulaires, assemblés en double couche, parties hydrophobes tournées vers l’intérieur.
                                     

 

 Certains lipides enfin ne sont pas constitués d’acides gras. C’est le cas du cholestérol, d’ou dérive une grande quantité de substances essentielles, telles que les hormones stéroïdiennes, la cortisone, la vitamine D. Le carotène, provitamine A, participe à la vision nocturne en tant que pigment des cellules en bâtonnets de l’oeil. 

Schéma d'une membrane où l'on distingue, intercalés entre les phospholipides, les protéines (traversant de part en part la membrane) et les sucres, vecteurs de l'identité de la cellule.

 

 

 

Les Protides

                                       Les protides ou protéines sont formées d’un assemblage d’acides aminés. Les acides aminés ont tous comme propriété commune de posséder un radical -COOH acide et un radical -NH2 amine fixés sur le même atome de carbone. A cet atome est lié un radical, qui peut être très différent d’un acide aminé à l’autre, et qui lui confère ses propriétés particulières. Les acides aminés se lient entre eux selon des liaisons dites « peptidiques » très fortes, et s’assemblent ainsi en molécules pouvant devenir extrêmement complexes. La variété du radical -R est sans limite, mais seuls 20 combinaisons se retrouvent dans les protéines. Ces sont les 20 acides aminés essentiels.
Ces briques s’assemblent donc en molécules plus lourdes, appelées peptides pour celles issues de la réunion d’un petit nombre d’acides aminés, et polypeptides ou protéines pour les plus importantes.
                                        Les protéines jouent un rôle d’une part par les types de liaisons et d’atomes qui les composent (structure primaire), en réagissant chimiquement, et d’autre part de par leurs formes très complexes (structures secondaires et tertiaires) qui peuvent activer ou au contraire perturber certaines autres réactions en tant qu’enzymes ou inhibiteurs.
                                        Les protéines sont présentes partout dans l’organisme. Pour ne citer que les plus connues, l’hémoglobine transporte l’oxygène et le gaz carbonique du sang par le biais de réactions d’oxydoréduction des atomes de fer ferreux ou ferriques contenus en son sein. La myoglobine constitue le muscle et en assure la mobilité. La membrane cellulaire, constituée comme il a été vu de phospholipides, serait imperméable sans les protéines intercalées qui jouent un rôle de porte entre les milieux intra et extra cellulaires.

              

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